Par Octo AM
La BCE a donc poursuivi son chemin de baisse des taux ce jeudi, comme les prix de marché l’anticipaient déjà… Rien de spécial à gagner donc pour les investisseurs à s’être positionné sur tel ou tel point de courbe plus long ou plus court car, comme nous l’avons écrit à plusieurs reprises, ce qui est déjà anticipé par le marché n’offre aucun pick-up de performance potentiel à l’investisseur. Nous lirons probablement ces jours-ci que le discours de Madame Lagarde implique ou suggère une politique plus accommodante pour les mois à venir, en raison d’une croissance plus faible que prévu et d’une inflation désormais contenue ; ceci pourrait pousser un investisseur obligataire à rallonger significativement son portefeuille, préférant fixer un taux encore attractif avant une chute trop forte. Ce n’est pourtant pas ce que nous proposons encore pour le moment car, si nous restons plutôt d’accord avec l’anticipation possible d’un taux directeur autour de 2% comme les marchés (soit une baisse significative du taux directeur de l’institution monétaire européenne), ce type d’anticipations nous semble mériter au moins deux nuances :
- Au vu de la volatilité des données économiques et des autres variables en jeu – politiques notamment -, nous n’oserions nous risquer à un pari ultra précis sur le niveau d’un taux directeur d’ici 12 mois, et il pourrait tout aussi bien être à 1.75% ou à 2.25% sans pour autant que le scenario économique soit fondamentalement différent… Or 50 points de base de variation de taux d’intérêt jouent peu si on est investi sur du court terme mais si on s’est risqué à se positionner sur du 10 ans, cela peut faire une différence de 4% de performance sur un an… Ce qui, quand le portage moyen obligataire se situe entre 3 et 5%, est significatif…
- Les niveaux de rendement des obligations longues anticipent déjà des baisses de taux substantielles de la BCE, ce qui aboutit encore actuellement une courbe plate, c’est-à-dire que le seul scenario dans lequel un investisseur gagnerait à investir sur des obligations longues serait celui dans lequel les marchés n’aient pas anticipé suffisamment de baisses de taux… Ceci nous semble peu probable et nous considérons qu’en plus de la baisse des taux directeurs, un deuxième phénomène devra se produire dans les mois à venir : la normalisation de la courbe. Cette normalisation peut se produire de deux manières :
- Une baisse des taux directeurs plus forte que celle anticipée par les marchés, par exemple autour de 1%.
- Une hausse des taux longs. Si le consensus et la BCE restent sur leur trajectoire d’un taux directeur à 2% à horizon 1 an, alors les taux longs pourraient grimper de 50 à 100 points de base pour normaliser la courbe.
Si le premier scenario pourrait être tentant, à l’aune des situations budgétaires délicates de quelques pays de l’Eurozone et de perspectives de croissance médiocre, nous considérons qu’il peut être visé à long terme mais pas forcément à un horizon d’une à deux années et que nous passerons probablement d’abord par le scenario d’une hausse des taux longs pour trois raisons :
- Une poursuite de la volatilité et de l’hétérogénéité des données économiques de la Zone Euro
- Une volonté de la BCE de retrouver une marge de manœuvre à plus long terme sur la taille de son bilan qu’elle devrait continuer de réduire ; or la taille de bilan joue plutôt sur le niveau des taux longs
- Une hausse des primes de crédit des Etats Européens
Nous préférons donc privilégier encore un positionnement de portefeuille court à intermédiaire, considérant que la performance potentielle complémentaire induite par un positionnement sur les échéances les plus longues de la courbe serait faible à nulle. De plus, n’oublions pas que le corollaire d’une telle position longue serait une volatilité potentielle beaucoup plus importante, ce qui n’est généralement pas ce qu’on recherche dans un placement obligataire.
Pour résumer notre propos, voici l’évolution de la forme de la courbe des taux depuis mi-septembre 2024, moment de la deuxième baisse de taux de la BCE et de son inflexion attendue depuis des mois par le marché. On y remarque bel et bien une baisse des taux courts, logique puisqu’ils sont fortement dépendants des taux directeurs et une stabilité, voire un léger écartement des taux longs. Nous considérons que ce mouvement pourrait perdurer pour les mois à venir et qu’il n’est donc pas opportun de se positionner sur la partie de courbe dont les taux s’écartent, que ce soit en termes de performance ou de risque embarqué et le graphe suivant de performance de deux obligations de l’Etat allemand 3 ans et 10 ans depuis le 11 septembre dernier montre bien qu’il était préférable de se positionner sur la plus courte, tant d’un point de vue de performance que de volatilité.
(Sources : Bloomberg, Octo AM)
Nous considérons que cette repentification de la courbe devrait se poursuivre d’ici la fin d’année au moins et continuerons donc de privilégier le segment 2-4 ans, qui bénéficiera d’un portage stable et continuera probablement d’être le point pivot de la normalisation de la courbe.
Mais nous parlons ici du taux de référence européen, le fameux Bund, et d’aucuns pourraient nous répondre que les obligations d’entreprises n’ont pas forcément une courbe inversée et ne sont pas soumises aux mêmes forces… Nous apporterons là encore deux précautions à cet argument :
- Si la courbe plate était compensée par une prime élevée sur les entreprises ou quelques souverains en situation délicate, on pourrait arguer du fait qu’en dépit d’un « taux de base » identique sur les maturités 2-10 ans, la prime offerte par tel ou tel corporate à 10 ans rendrait le rendement de ses obligations longues, attractif. Mais ce n’est guère le cas puisque les spreads eux aussi sont relativement plats et trop bas pour créer un différentiel suffisant entre un investissement court et un investissement long. Attention, nous ne disons pas ici que les spreads sont trop bas pour investir sur le marché obligataire car les taux absolus sont eux encore tout à fait attractifs mais, en termes relatifs, il nous semble préférable de privilégier encore le segment court à intermédiaire (courbe des taux du BBB/BB/B). Comme en témoigne le graphe ci-dessous, les courbes de taux des entreprises sont elles aussi inversées et il faut se positionner sur le segment le plus risqué du High Yield pour obtenir une courbe plate, c’est-à-dire une rémunération aussi attractive sur du 10 ans que sur du 3 ans.
(Sources : Markit, Octo AM)
(Sources : Bloomberg, Octo AM)
Or n’oublions pas que si la BCE baisse ses taux c’est bel et bien parce que la situation économique se détériore et que les situations bilancielles des entreprises pourraient se dégrader dans les années à venir, écartant les primes de crédit et écartant également les différentiels de rendement entre les obligations les plus courtes, assurées généralement par la liquidité au bilan, et les plus longues, au degré d’incertitude plus fort. Cet argument est particulièrement vrai sur les obligations les mieux notées car ce sont elles qui ont les primes les plus basses, les courbes les plus inversées et le potentiel d’écartement de spread le plus élevé…
Prenons par exemple le cas de LVMH, dont les publications cette semaine ont montré un ralentissement des ventes. Cet émetteur est évidemment parmi les plus solides et nous ne remettons absolument pas en cause sa capacité de remboursement. Mais sa prime de crédit, au vu de sa qualité actuelle est très faible et sa courbe de taux est inversée alors même que l’incertitude temporelle de cet émetteur n’est pas inversée et si on peut être sûr que les comptes de résultats ne dégraderont pas le bilan de LVMH à horizon 2-3 ans, on ne peut pas en dire autant à horizon 10 ans et on pourrait tout à fait imaginer qu’une dégradation des ventes et des cash-flows amène l’entreprise vers une notation de crédit un peu moins forte et des spreads légèrement plus élevés. Or avec un rendement et un spread actuel aussi serré, un tel émetteur offre peu de marge de manœuvre à un investisseur. Telle que l’obligations LVMH 3.5% 2034 à 3% de rendement pour un spread de crédit de 60 points de base.
Imaginons qu’entre une hausse des taux de 20 points de base (soit moins d’une révision de baisse de taux de la BCE) et un écartement de 20 points de base du spread de l’émetteur, le taux d’emprunt de LVMH passe d’ici 6 mois à 3.4% de rendement, ce qui est loin d’être prohibitif et se rapprocherait d’ailleurs du coupon payé lors de l’émission, ce qui signifie bel et bien que l’entreprise pourrait être amenée à payer ce type de rendement. Entre le rendement embarqué et la moins-value liée à l’écartement de taux, un investisseur réaliserait une performance d’environ -1.45% sur 6 mois… A l’inverse, sur une obligation du même émetteur de maturité 2026 ou 2027 avec un écartement comparable de 40 points de base (ce qui est moins probable vu que 1/ la BCE compresse les taux courts et 2/ le spread de LVMH a moins de chance d’évoluer aussi négativement sur une maturité 3 ans qu’une maturité 10 ans) un investisseur bénéficierait d’une performance neutre à positive.
Si cet exemple est vrai pour LVMH, une des entreprises les plus solides du marché, alors il est d’autant plus vrai pour des émetteurs aux bilans plus fragiles ou aux comptes de résultats plus cycliques, dont le spread de crédit pourrait s’avérer beaucoup plus volatile dans une perspective de ralentissement économique.
(Sources : Bloomberg, Octo AM)
Afin d’illustrer ce calcul d’écartement potentiel pour assurer son capital, nous vous proposons ci-dessous les courbes de taux des différentes catégories obligataires assorties de l’écartement maximal que sera capable de supporter un point de courbe en fonction de sa notation crédit et de son rendement pour que la performance à horizon 12 mois reste en territoire positif. Ce graphique expliquera ainsi, en partie, le positionnement actuel de notre fonds Octo Crédit Value qui bénéficiera, pour les mois à venir, d’un coussin de portage suffisant pour absorber un écartement significatif des taux et des spreads et nous laisse confiant sur son rapport performance/volatilité.
Les scénarios présentés sont une estimation, ils ne constituent pas un indicateur exact. (Sources : Bloomberg, Octo AM)