Par Octo AM
La FED a donc baissé ses taux de 50 points de base cette semaine, comme cela était à peu près anticipé dans les prix du marché. Nous n’avions pas de notre côté, réalisé d’anticipations particulière à ce sujet dans la mesure où les variables de cette décision étaient :
- Extrêmement volatiles, puisque les données économiques américaines sont très hétéroclites et largement révisées systématiquement le mois suivant
- Pour certaines, en dehors du spectre de la pure analyse financière et monétaire puisque le sujet des échéances électorales et de la dialectique entre le potentiel gouvernement à venir et la FED pouvait également jouer.
De plus, quel intérêt de tenter de spéculer ces dernières semaines sur une anticipation déjà très forte des marchés sur laquelle il y aurait eu si peu à gagner ?
Car en effet, cela fait plusieurs semaines que les marchés ont massivement acheté le marché obligataire, comme en témoigne la forte baisse des taux américains et européens (cf graphe 1), anticipant 2 à 3 baisses de taux d’ici fin d’année et 6 à 7 d’ici fin 2025 et anticipant une courbe seulement plate à horizon un an ainsi que des taux directeurs à 2% et 3% aux USA (cf graphe 2).
Graphe 1 : Taux Allemand et américain à 10 ans en 2024
(Sources : Bloomberg, Octo AM)
Graphe 2 : Evolutions estivales des anticipations de baisses de taux FED & BCE
(Sources : Bloomberg, Octo AM)
Spéculer dans le sens de ce scenario et continuer de se positionner dans le sens de la baisse des taux de cette semaine serait revenu à considérer que les marchés étaient trop prudents et que la FED, ou la BCE puisque le principe est assez comparable, baisserait ses taux directeurs de manière encore plus agressive…
En effet, rappelons ici que les marchés anticipant l’avenir par le principe de l’actualisation, acheter ou vendre un actif revient systématiquement à prendre un pari face au marché. Ainsi, acheter des obligations souveraines longues de pays « core » depuis deux semaines revenait à penser que les marchés n’anticipaient pas assez de baisses de taux directeurs et inversement pour un positionnement sur les obligations plus courtes, voire monétaires, ou sur des positions « short » du marché des taux.
Rappelons aussi que depuis deux ans, les marchés n’ont fait qu’anticiper trop de baisses de taux des banques centrales pour trois raisons :
- Des achats institutionnels liés à des sujets comptables et réglementaires plus qu’à une quelconque rentabilité
- Une recherche de sécurité des investisseurs dans un contexte volatile
- Des rendements obligataires encore élevés par rapport à d’autres classes d’actifs
- Des biais récurrents comme la peur de manquer le mouvement (FOMO), le biais d’optimisme et l’effet mémoire des taux très bas de la décennie passée
Ainsi, entre le manque de rentabilité des investissements longs face aux investissements courts pour une volatilité potentielle significativement supérieure, nous n’avons pas souhaité entrer dans ce mouvement généralisé et en avons même plutôt profité pour raccourcir nos portefeuilles, craignant que l’adage « acheter la rumeur et vendre la nouvelle » ne se répète encore une fois, la plupart des positions spéculatives s’effectuant par des dérivés à la liquidité immédiate et aux flux extrêmement rapides…
Et il semble que ce pourrait être le cas lorsqu’on observe les niveaux des futures sur les taux longs américains et européens depuis la décision de chaque banque centrale comme en témoigne le graphe ci-dessous
Graphe 3 : Evolution du Bund allemand 10 ans depuis début septembre 2024
(Sources : Bloomberg, Octo AM)
En résumé, nous considérons que la baisse des taux directeurs opérée cette semaine était déjà dans les prix, créant une courbe inversée, et qu’il n’y a pas d’urgence à réallouer massivement ses positions pour rallonger ses portefeuilles pour le moment, bien au contraire. De plus, le rally sur les spreads de crédit high yield ou les actions, très liés l’un et l’autre, ne nous semble pas non plus à même de presser un investisseur à augmenter sa part d’actifs risqués.
Au sujet des actifs risqués, nous mentionnions la semaine passée l’entreprise Ubisoft au sujet de laquelle nous préférions mettre en garde un quelconque investissement obligataire. Sans proposer ici des analyses détaillées, nous mettrons en garde cette semaine sur deux émetteurs : Worldline et Elis.
Sur Worldline : nous pourrions être tentés, uniquement pour que notre propos soit le plus clair possible pour nos lecteurs et sans que personne n’y voit un mauvais augure quelconque, de rapprocher cet émetteur des entreprises Atos et/ou Adler. La première pour les mauvais choix et les errances de stratégie, l’autre pour la hausse massive de l’endettement en quelques années pour des projets de moins en moins rentables, deux dossiers que nous avons déjà largement commentés et sur lesquels les évènements récents nous ont donné raison.
- Une dette augmentant beaucoup plus vite que le chiffre d’affaires
- Une capitalisation divisée par 13 par rapport à ses plus hauts de 2020 et par 2 depuis 2016, date à laquelle l’entreprise n’avait pas de dette et réalisait près de 4 fois moins de chiffre d’affaires
- Des actifs incorporels représentant 90% des actifs longs de l’entreprise, dont un goodwill (c’est-à-dire rien de concret, surtout dans une entreprise dont les résultats et bilans se dégradent régulièrement) représentant 70% des actifs longs. Rappelons ici qu’en cas de stress et de dépréciation naturelle de ce goodwill dans ce cas, le levier du groupe pourrait vite devenir intenable.
- Une grande volatilité des cash flows dans la durée, alors même que le métier n’est pas spécialement cyclique
- Un management très peu fiable dans ses prévisions et des révisions fréquentes à la baisse des résultats et de la qualité bilancielle
- Une gouvernance faible et volatile
- Des obligations encore BBB- offrant un taux à 4.5% sur 2028, ce qui ne nous semble pas adapté, ni en termes de notation, ni en termes de taux.
- Un début de retournement de la courbe de rendement montrant un stress sur la liquidité de l’émetteur et/ou une différence de perception marquée entre les investisseurs des obligations convertibles 2025 et 2026, non notées et offrant du 6.5% et ceux des obligations classiques 2027 et 2028, notées BBB- (et donc éligibles dans beaucoup de portefeuilles et indices) offrant seulement du 4%… Ce hiatus ne devrait pas durer et sans doute une dégradation de notation ou une prise de conscience chez quelques investisseurs des souches classiques pourrait faire plonger ces obligations.
Sur Elis : rappelons ici que l’entreprise est actuellement de bonne qualité et fiable. Cependant, elle annonçait il y a quelques jours la possible acquisition d’un concurrent qui viendrait doubler la taille de l’entreprise. Si, en tant qu’actionnaire, l’opération peut séduire, il n’en est pas de même en tant que créancier car ce dernier :
- N’a pas la main sur la structuration de l’opération
- Pourrait passer d’un investissement sur une entreprise BBB- au profil de risque prudent à une entreprise significativement endettée et au risque opérationnel de fusion conséquent au vu de la taille de la cible.
Rappelons ici qu’Elis a déjà opéré des LBO relativement agressifs par le passé qui ont profité à l’entreprise et à ses actionnaires et dirigeants ; après quelques années de prudence, notamment post-covid (Elis opérant dans la blanchisserie industrielle et ayant notamment pour clients les hôtels, restaurants et collectivités), ceux-ci pourraient être tentés de se relancer dans une opération de croissance plus agressive. Rappelons ainsi ci-dessous, l’évolution du rating d’Elis sur longue période pour montrer que l’entreprise fut plus souvent ‘high yield’ qu’investment grade, profitant d’un métier peu cyclique et aux économies d’échelles rentables.
Ainsi, si nous ne remettons aucunement en cause la qualité du management, la probable cohérence de l’opération et notre confiance dans une entreprise qui a toujours été plutôt fiable pour ses créanciers (que nous ne sommes plus), le rendement actuel des obligations de cette entreprise de 3.7% sur 6 ans et 3.4% sur 4 ans ne nous semble pas rémunérer suffisamment l’incertitude de cette possible hausse du levier et du risque opérationnel et nous lui préférerons des entreprises à plus fort rendement et en phase de désendettement car ayant déjà réalisé des acquisitions et augmenté leur levier. Ceci est plus propice pour la performance des créanciers que nous sommes.