Par DNCA
Il y a peu de musées gratuits au Japon mais celui de la Monnaie, en face de la forteresse de la Banque du Japon, déroge à la règle. Le visiteur y découvre la mission initiale de l’institution monétaire suprême, fondée en 1882 : restaurer la confiance dans la devise.
A l’époque, les obligations des banques commerciales et du gouvernement sont émises en quantités astronomiques pour financer la guerre civile qui oppose l’empereur Meiji aux conservateurs traditionnalistes du Shogunat Tokugawa. L’inflation galope. Les bons et billets des banques ne trouvent plus de valeur aux yeux du peuple créditeur qui a recours au troc pour commercer : ils perdent leur rôle de monnaie. Le lancement conjoint d’une politique d’austérité et la création de la banque centrale ramèneront bientôt le pays dans la stabilité financière, en même temps qu’il entrera dans le club des grandes puissances.
142 ans plus tard, le yen est la troisième devise mondiale. Mais la population nippone est angoissée par l’effondrement spectaculaire de sa devise et le grondement du Godzilla de l’inflation qu’elle n’avait plus entendu rugir depuis si longtemps. La BoJ s’engage dans un programme de hausse des taux et de quantitative tightening encore impensable il y a quelques trimestres. Les marchés attendent la prochaine décision de politique monétaire le 20 septembre, échaudés par la déflagration de cet été. La BOJ pourrait mettre en pause ses ambitions. Il faut être vigilant à ne pas brusquer la demande domestique, fragile. Le Yen est parvenu à s’élever au-dessus des limbes. Et le choc de sa décision sur les marchés internationaux n’a pas laissé Kazuo Ueda indifférent.
Comme les marchés, il scrutera la décision de la FED, deux jours auparavant.
Les chiffres de l’emploi (Non Farm Payrolls) n’ont pas été suffisants pour trancher la question de l’amplitude de la baisse attendue.
Les chiffres de l’inflation ont montré que dans le logement (une des principales composantes de l’indice des prix) et certains services (alimentation scolaire, services de transports etc…) la hausse persiste.
Les swaps d’inflation progressent depuis la publication.
Le sentiment du consommateur mesuré par l’Université du Michigan ressortait au-dessus des attentes vendredi.
Malgré cela, les attentes de baisse des taux sont revenues au niveau qui précédaient la publication des chiffres de l’emploi. Le marché intègre à nouveau 40% de probabilité d’une baisse de 50 points de base le 18 septembre et 155 points de base de baisse d’ici à rendez-vous du 19 janvier. La boucle est bouclée.
A leur point le plus bas de la courbe (proxy du taux terminal anticipé par les marchés), les futures SOFR (Secured Overnight Financing Rate) traitent à 2.78% (mars 2026). 240 points de base sous les FED FUNDS, ils sont déjà posés sur le taux neutre ciblé à long terme par la FED (selon les Dot Plots). Il est toujours difficile d’argumenter contre la vue du marché, aussi aggressive ou hâtive puisse-t-elle paraître. Néanmoins une question évidente se pose : la FED peut-elle se montrer plus généreuse que ce que les marchés attendent d’elle si le scénario central reste celui d’un soft landing économique ? De cette réponse dépend l’espérance de gain que l’on peut attendre en prenant du risque de duration…
La baisse des taux réels (anticipations de baisse des taux FED, rebond des points morts d’inflation) cette semaine profite à l’or qui s’approche des 2600$. Les derniers chiffres du budget américain dérapent. Il apparaît clair qu’aucun des candidats n’entend faire de la réduction du déficit une priorité. Ces inquiétudes supportent le métal précieux.
Comme prévu, la BCE a fait parler la poudre en ce mois de septembre agité. Sans tirer à boulets rouges. Malgré la révision à la baisse de ses attentes de croissance (les données en provenance d’Allemagne continuent de se détériorer), elle se contente d’une seconde baisse de 25 points de base. Comme le rappelle le gouverneur de la Banque de France, contrairement à la FED, elle n’a pas de « mandat croissance ». C’est la mission des Etats. Prudente, Christine Lagarde prévient que l’inflation rebondira au second semestre (salaires, services). En conséquence, les marchés revoient avec moins d’enthousiasme leur copie pour le prochain meeting d’octobre même si la BCE concède que le momentum des tensions salariales recule.
Pendant ce temps, en Chine, les taux à 10 ans continuent d’enfoncer des niveaux historiquement bas.
Au prix d’une douleureuse phase de deleveraging, le pays continue sa transition économique. Elle porte sur la réduction à marche forcée du poids de l’immobilier dans le PIB et dans l’épargne, qui doit se dynamiser sur les marchés financiers domestiques, facilitateurs du financement des industries plébiscitées par le parti (renouvelables, nouvelles technologies, industrie à plus forte valeur ajoutée…). C’est aussi un moyen de réduire l’importance du shadow-banking et d’améliorer la stabilité financière du pays…
Afin de gérer le fracas de cette transition, la banque centrale chinoise pilote de façon accommodante, sans excès de zèle. Pour l’instant, la chute des prix immobiliers et des marchés actions a plutôt orienté l’épargne vers les dépôts, mais la répression financière (-100 points de base sur les taux d’emprunt préférentiels à 5 ans depuis 2019) amène les flux à se déployer vers les marchés obligataires, notamment souverains, dont les rendements se compriment.
Comme le notait Oscar Jorda (FED de San Francisco), dans une étude passionnante de 2016 (Histoire et faits du nouveau cycle des affaires »), depuis la fin du système de Bretton Woods en 1971, l’ascension fulgurante de l’endettement mondial (exprimé en dette sur revenu) a été le fait de la hausse spectaculaire du crédit immobilier des ménages, davantage que celui des entreprises. Son étude rappelle que depuis, il devient difficile d’envisager un cycle des affaires sans étudier le cycle du crédit. Pour qu’une récession s’accompagne d’une crise financière, une forme d’événement de crédit aboutissant à un dégonflement violent aux ramifications systémiques (crise immobilière, effondrement en série de fonds ayant recours au levier comme LTCM) est nécessaire. Le débouclage du carry trade sur le Yen n’a pas été le déclencheur d’un tel événement. En 2023, la FED a réagi immédiatement à la déroute de la banque SVB. La Chine parvient à désenfler la bulle immobilière à un cout social élevé mais sans effondrement de son économie. Le scénario macro-économique mondial semble être pour l’instant celui d’un ralentissement monotone, sans accident majeur. Pour l’épargnant, ce sera une façon moins douloureuse que 2020 ou 2008 de traverser le changement de cycle…