Les taux directeurs baisseront mais cela ne changera pas forcément les performances obligataires

Par Octo AM

Nous suggérions la semaine passée à nos lecteurs d’être agiles dans leurs choix obligataires afin de tirer le meilleur parti du marché, actuellement tiraillé entre les espoirs de baisses de taux déjà largement dans les prix, des craintes sur la conjoncture économique, des publications de résultats et de perspectives hétéroclites, un sujet politique et géopolitique pesant et, plus généralement, le passage d’une préoccupation d’inflation à une préoccupation de ralentissement, voire de récession… autant d’éléments propices à une forte volatilité sur les taux et la « prime entreprise », représentée par le spread de crédit sur le marché obligataire ou le prix des actions. En témoignera ce graphique de l’évolution du taux allemand 10 ans ces derniers jours et celui-ci sur l’évolution du Stoxx 600.

(Sources : Bloomberg, Octo AM)

Or si on disait traditionnellement que lorsque la prime « entreprise » se dégrade, la composante « taux » s’améliore et par opposition, ce qui rendait théoriquement le marché obligataire extrêmement stable et inversement corrélé au marché des actifs risqués, en particulier les actions, cet argument n’est plus forcément valable aujourd’hui – mais il peut l’être et c’est bien tout le fond de la difficulté – pour les raisons suivantes :

  1. La pression des bilans de banques centrales sur le marché obligataire
  2. Le jeu des prévisions des banques centrales et des marchés, toujours plus avancées, sur la politique monétaire
  3. Les masses de liquidités en jeu, réparties qui plus est dans le monde entier et chez des investisseurs aux contraintes et aux objectifs pléthoriques : un investisseur domestique chinois investissant sur un ETF obligataire européen ne le fera par exemple pas du tout pour les mêmes raisons qu’un assureur français ou un banquier privé suisse… l’un regardera essentiellement le sujet de la sécurité des capitaux, de la diversification géographique et du change ; le second le sujet réglementaire, comptable et de performance relative face aux autres classes d’actifs.
  4. L’importance prise par les produits dérivés et la spéculation pure dans la fixation des taux d’intérêts au-delà de trois mois et, dans une moindre mesure, des primes de crédit.
  5. L’importance prise par les ETF dans l’encours obligataire, entre 80% et 90% du marché, alors même que ceux-ci sont pondérés presque à l’opposé du rapport rendement/risque traditionnel puisqu’ils privilégient les émetteurs ayant la masse de dette la plus importante…

Ces éléments amènent, qui plus est, à plusieurs constats ou conclusions plutôt contre-intuituives pour un investisseur, soit parce qu’elles vont à contre-courant de l’histoire économique et financière – mais n’est-on pas, en ce qui concerne l’endettement, dans un terrain jamais exploré par l’histoire ? – soit parce qu’elles vont à contre-courant de bon nombre d’articles, dont la plupart se basent sur des raisonnements valables pour d’autres classes d’actifs mais ne prennent pas en compte la spécificité obligataire.

  1. Ce n’est pas parce que la FED ralentirait le rythme de baisse des taux que la BCE le ferait ; et il serait tout à fait possible de constater durablement un différentiel de taux directeur de 2% à 3% entre Eurozone et les USA durant les années à venir. Il faudrait donc bel et bien pour cela que les deux institutions divergent sur leurs actions puisque l’écart est aujourd’hui seulement de 1%. L’explication est double : d’abord le dynamisme économique puis la différence de mission entre la FED, qui suit les statistiques économiques d’un pays, et la BCE qui suit les statistiques d’une quinzaine de pays et qui veille aussi à préserver l’équilibre politique de l’alliance de ces pays.
  2. Ce n’est pas parce que les taux courts baisseront que les taux longs baisseront : depuis déjà deux ans les investisseurs anticipent massivement les baisses de taux des banques centrales en se positionnant sur les obligations longues. Ceci a conduit à une pente inversée et donc, mécaniquement à une surperformance relative significative des obligations longues par rapport aux obligations courtes. « Elles ont pourtant plutôt moins performé depuis 2 ans » me diront certains… C’est vrai mais c’était encore trop et les anticipations actuelles des marchés, de 6 à 7 baisses de taux de part et d’autre de l’Atlantique d’ici fin 2025, offrent peu de marge de manœuvre et de surperformance sur les obligations longues de haute qualité.
  3. Ce n’est pas parce que les taux directeurs baisseront que les fonds performeront, ou plus précisément que «tous » les fonds performeront. Trois raisons à cela :
    1. Les anticipations du marché précitées qui ont rendu beaucoup de points de courbe « au juste prix », voire surévalués. Un retournement de ces anticipations ou même leur simple réalisation de n’offrirait pas de surperformance par rapport à des obligations plus courtes ou plus crédit.
    2. Le fait que jusqu’à 70-80% de la performance d’une obligation peut venir de la composante entreprise qui n’est pas directement liée aux taux d’intérêt de base, encore moins au taux directeur
    3. Les taux directeurs sont administrés, les taux longs dépendent de l’offre et de la demande. Ainsi en face du facteur baisse du taux à 15 jours (le taux BCE) qui peut compresser la courbe par l’effet de l’actualisation, se trouvent bien d’autres facteurs : baisse de la masse monétaire, dégradation des finances publiques entraînant une hausse du coût du risque souverain (cas de la France) et une hausse des besoins d’endettement, tensions géopolitiques avec des acheteurs de dette américaine et européenne (Chine)…
  4. Ce n’est pas parce que la qualité des entreprises s’améliore que tous les fonds obligataires performeront : rappelons ici que l’essentiel du marché obligataire est constitué d’ETF ou assimilés qui pondèrent leurs positions par la masse de dette en circulation. Ceci crée deux biais majeurs tout à fait impropres à une gestion performante :
    1. Toutes choses égales par ailleurs, plus une entreprise est risquée et plus ses obligations sont achetées par les ETF obligataires, abaissant de facto leur rémunération et donc le rapport rendement/risque. Un ETF augmentera ainsi ses positions obligataires d’entreprises qui se dégradent et réduira celles qui s’améliorent…
    2. Des biais sectoriels apparaissent souvent au gré des crises : ainsi, les secteurs les plus pondérés fin 2020 étaient les compagnies aériennes et le tourisme, c’est au tour aujourd’hui des telecoms et de l’automobile… Altice fut un moment l’un des premiers émetteurs de l’indice tout comme General Motors…
    3. Quelques énormes mammouths de dette représentent généralement 25% à 30% de l’indice sur le segment high yield ou financier, ce qui crée une diversification toute relative pour l’investisseur
    4. Enfin, nous disions plus haut que le choix de la maturité d’investissement (le point de courbe) est important pour l’investisseur. Or un ETF ne choisira pas le point de courbe en fonction de l’intérêt de l’investisseur mais simplement en fonction du gisement. Vu que le gisement est émis par les entreprises débitrices, c’est donc plutôt en fonction de leur intérêt qu’est déterminée la maturité moyenne d’un ETF… Ainsi, pouvait-on voir des ETF plus longs lorsque les taux étaient très bas et plutôt plus courts dans les quelques années passées de taux plus élevés… Dommage pour les investisseurs qui auraient eu de meilleures performances avec un positionnement opposé…

Notons que ces quatre biais des ETF sont précisément les sujets sur lesquels un gérant obligataire actif peut, sans artifice aucun ni complexité démesurée et probablement plus aisément qu’un gérant actions, réaliser une différence significative avec les indices obligataires de marché : choix des émetteurs les plus rentables et non les plus endettés, diversification sectorielle et par émetteurs, choix des maturités les plus opportunes du point de vue du rendement et de la volatilité potentielle. La conjoncture actuelle, entre changement de régime économique, bascule monétaire, entreprises à la croisée des chemins, marché obligataire recelant pléthore d’opportunités, est tout à fait propice à cette gestion active, après la « décennie de taux zéro » puis la transition du portage obligataire en 2023. C’est avec plaisir que nous vous détaillerons tous ces sujets et leurs applications au sein de notre gestion lors de notre prochaine présentation, le 12 septembre 2024 (Inscription ici, places limitées)