Les taux français restent stables, tandis que ceux des autres pays se resserrent

Une fois de plus cette semaine, la France faisait la une puisque son taux d’emprunt à 10 ans dépassait celui de tous les ex-périphériques, à qui il faudra désormais trouver un autre nom…

Evolution du taux 10Y de la France et des pays « périphériques »

(Sources : Bloomberg, Octo AM)

Si nous avons déjà précisé, dans un hebdo de juin, qu’investir sur la dette Française est peu rentable au regard des risques et des perspectives, notons tout de même, contrairement à ce que l’on a pu lire deci delà, que cet écartement du taux français ne vient pas forcément ni d’une défiance particulière des investisseurs, ni d’une demande claire de rendement supérieur, pour deux raisons :

  • Premièrement, cet écartement face aux autres pays s’est opéré dans un contexte de baisse des rendements souverains depuis l’été, en parallèle de la baisse du taux directeur de la BCE. Ainsi, la France emprunte plutôt moins cher qu’en juin 2024 et le graphe suivant, s’il montre une augmentation claire en 2022 liée au retour généralisé de l’inflation et à des taux plus élevés, n’est pas l’illustration d’une tendance claire de dégradation de confiance des investisseurs vis-à-vis de la dette française.

Evolution du taux 10Y Français

(Sources : Bloomberg, Octo AM)

  • Deuxièmement, le jeu de l’offre et de la demande sur le marché obligataire ne dépend pas uniquement des investisseurs mais aussi du stock de dette en circulation. Il se trouve que le stock de dette des pays comme l’Irlande, le Portugal ou la Grèce est très limité du fait de la petite taille économique de ces pays. Ainsi, malgré un niveau d’endettement encore proche de 120% au Portugal ou de 170% en Grèce, leur stock de dette en montant absolu est autour de dix fois plus faible que le montant de la dette française. Ceci implique une certaine illiquidité sur ces obligations d’autant plus que qu’une part importante de leur dette ne circule pas sur les marchés. Ainsi la BCE, les programmes d’assistance divers et les banques locales, autant de portefeuilles qui sortent les obligations du jeu classique de l’offre et de la demande, détenaient-ils près de 70% de la dette portugaise en 2023, contre 10% en 2010.

Porteurs de la dette publique portugaise

  • Troisièmement, la BCE, en parallèle de la baisse des taux, est dans une phase relativement significative de réduction de son bilan, comme en témoigne le graphe suivant. Notons ici que l’instisution, lorsqu’elle augmente ou réduit son bilan, achète ou vend des obligations souveraines européennes sur le marché pour injecter ou retirer ses liquidités, et doit le faire selon les clés de répartition correspondant à peu près à l’importance économique du pays (https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2023/html/ecb.pr231221~173a7ba501.fr.html). Ainsi, la BCE avait-elle acheté beaucoup plus de dette souveraine française ou allemande que de dette portugaise ou espagnole lorsqu’elle était dans sa phase expansionniste, entraînant les taux français et allemands vers le territoire négatif … La période étant actuellement à la réduction, ce sont bien des obligations allemandes et françaises que la BCE doit se délester.
  • Quatrièmement, et c’est ici que le bât blesse pour la France, rien de grave à ce que la BCE ne roule pas ses investissements sur des obligations arrivées à échéance si la France était à l’équilibre budgétaire… Mais avec un déficit de près de 6%, ce sont de nombreuses émissions nouvelles que le Trésor doit mettre actuellement sur le marché alors même que son plus gros acquéreur, la Banque Centrale, est en phase de réduction de bilan… Ainsi, bien que les différentes catégories d’investisseurs continuent probablement d’acheter des obligations françaises autant qu’avant à la fois en absolu et en relatif, ne montrant ainsi pas forcément de « défiance » vis-à-vis de la France, c’est bel et bien d’une augmentation trop forte du stock que vient le problème…
  • Enfin, nous dirons que ce n’est pas tant la France qui a perdu la confiance des investisseurs ou son importance dans les portefeuilles – et rappelons ici que la dette française corporate ou souveraine représente environ 30% de tous les ETF obligataires européens -, ce sont plutôt les autres pays européens qui ont fait un travail considérable de réduction des déficits et d’assainissement de leurs économies, ce qui leur permet aujourd’hui d’être en excédent budgétaire, de ne plus emprunter sur les marchés (raréfiant donc le stock à l’inverse de la France), de profiter de niveaux de croissances relativement solides, comme en témoignent les trois graphes ci-dessous

Stock de dette portugaise, espagnole et grecque en milliards : un encours stabilisé depuis 10 ans

(Sources : Bloomberg, Octo AM)

Dette rapportée au PIB de l’Irlande, ratio désormais parmi les meilleurs de la Zone Euro

(Sources : Bloomberg, Octo AM)

Croissance des pays de la Zone euro

(Sources : Bloomberg, Octo AM)

En conclusion, le fait que le taux d’emprunt de la France passe au dessus de tel ou tel pays vient tout autant de la réduction de bilan de la BCE qui la touche particulièrement ; de caractéristiques spécifiques et d’une certaine illiquidité des dettes de plus petits pays européens ; de l’amélioration des économies des pays ex-périphériques après une décennie d’efforts; que de la dégradation, pour autant réelle et que nous ne nions bien sûr pas, des finances publiques et de l’économie française. Il est probable que ce phénomène se poursuive dans les années à venir pour la France et tout comme pour l’Italie et que l’on observe de nouvelles dégradations de notation de ces deux pays, et donc peut être de certaines de leurs entreprises, notamment dans le secteur financier, un écartement relatif de leurs taux d’emprunt face aux autres, et à plus long terme, un emballement créant une crise de confiance ou une crise économique et sociale forte et une nouvelle intervention de sauvetage de la BCE…

Deux points à garder en tête cependant :

  • premièrement, la BCE n’interviendra pas sans contreparties et attendra donc, comme pour les périphériques, une crise significative afin de pouvoir négocier des aménagements importants sur la gestion politique et budgétaire du pays.
  • deuxièmement les échelles de temps des Etats et de leurs équilibres politiques, géopolitiques et budgétaires ne sont pas du tout les mêmes que celles des marchés financiers ou d’un investisseur et nous mettrons en garde contre des Cassandre qui prévoiraient – et qui prévoyaient d’ailleurs déjà il y a parfois plus de dix ans – la faillite imminente de la France… Plusieurs décennies et de multiples interventions politiques et monétaires, de nombreux cycles économiques et financiers se produiront bien avant que cela puisse, un jour éventuellement, survenir.

Pour autant les rendements actuels de l’Etat Français et de certaines entreprises françaises liées au risque politique, à la notation de crédit de la France ou à la dette souveraine comme les banques ou les assureurs, ne nous semblent pas forcément suffisants et nous avons préféré limiter au maximum notre exposition à leurs obligations.

Matthieu Bailly, Octo Asset Management